Le 2 novembre 2024 Ahou Daryaei déambule en culotte et soutien-gorge devant son université à Téhéran pour protester contre un contrôle de police sur sa tenue vestimentaire. L’image tourne en boucle sur les réseaux sociaux et génère un fort impact médiatique international. Aujourd’hui, elle a été libérée par les autorités iraniennes et rendue à sa famille grâce à une forte mobilisation internationale et la diffusion virale de son acte de protestation. C’est ce geste radical qui nous a interpelées et nous a amenées à nous interroger sur l’Iran.

Des injustices clairement misogynes
Nous avons interviewé Julien Lecuyer, journaliste de la Voix du Nord, spécialiste de l’Iran qui nous explique tout d’abord que le régime Iranien est une république islamique où il y a comme en France un président, un parlement, des députés… mais qu’il y a aussi un « chef suprême » l’Ayatollah qui se trouve hiérarchiquement supérieur au Président de la République et qui est vu comme le représentant de Dieu sur Terre. « Il y a donc un système de république qui pourrait s’apparenter au nôtre ; mais au lieu des droits de l’homme et du citoyen comme fondement du système, dans la République iranienne tout se réfère à la religion et aux règles de l’Islam. » A notre question sur les femmes, il précise qu’elles ont des règles à respecter beaucoup plus lourdes que les hommes et beaucoup moins de droits. Ainsi, elles sont soumises au port du voile obligatoire : ne pas le porter ou encore mal le porter peut les soumettre à des amendes voire à des violences de la police religieuse. Elles ont aussi un accès limité à certains emplois. Julien nous affirme : « Concrètement, une femme vaut la moitié d’un homme, pour l’héritage ou pour la justice » : c’est pour cela qu’elles sont complètement soumises à leur mari ou encore à leur père.

D’abord Mahsa, puis Femme, Vie, Liberté
Face à ces menaces constantes, de nombreuses femmes résistent et refusent de se soumettre. Elles défient en permanence la législation discriminatoire du pays. C’est le cas du mouvement » Femme, vie, liberté » né en septembre 2022 suite au décès de Mahsa Amini, étudiante de 22 ans, morte trois jours après avoir été arrêtée par la police des mœurs iranienne pour « port de vêtements inappropriés ». En fait une mèche de cheveux dépassait de son voile. En Iran, le sort de cette jeune martyre morte sous les coups des policiers a poussé à la révolte de nombreuses femmes qui passent à la désobéissance civile : elles manifestent, retirent et brûlent leur voile, symbole d’une république islamique qui les soumet. Femme, vie, liberté, hurlent-elles. Dans la foulée, Shervin Hajipour compose Barayé en octobre 2022 : visionné plus de 40 millions de fois en deux jours, le clip est celui d’une chanson contestataire dénonçant les crimes de la république islamique et revendiquant la liberté. La chanson, poignante, fait le tour du monde, illustrée par Shabnam Adiban et reprise à l’international, par Coldplay par exemple lors d’un concert à Buenos Aires. Devenu un hymne à la liberté, ce tube a même obtenu un Grammy Award en 2023. Et le combat dépasse les frontières de l’Iran : de célèbres actrices se coupent une mèche de cheveux, Marjane Satrapi dirige une BD justement intitulée Femme, Vie, Liberté, Mohamed Rasoulof obtient le prix spécial du jury au festival de Cannes 2024 avec son film Les graines du figuier sauvage tourné clandestinement et Delphine Minoui publie le roman Badjens. Depuis le début du mouvement, et pour venir en aide aux Iraniennes, de nombreuses associations ont vu le jour, comme la Ligue des femmes Iraniennes pour la Démocratie qui a pour but d’apprendre le français aux femmes réfugiées ou encore l’association Nima qui a la volonté de faire connaître, vivre et partager la culture iranienne.

Nous avons eu la chance de rencontrer Mahvash Shafiei, poétesse et journaliste iranienne en exil et réfugiée en France, près de Lille, depuis 2021. Elle nous a parlé de la situation du pays à ce jour, notamment de la situation des femmes. Pour elle, la population a gagné beaucoup de libertés avec le mouvement Femmes, Vie, Liberté et le gouvernement n’a plus le soutien de la population et aujourd’hui les jeunes filles de 18 à 25 ans osent se promener dans la rue, aller au café et ne plus porter le voile. C’est une grande victoire aux yeux de Mahvash pour les femmes en Iran même s’il est extrêmement difficile de faire évoluer le système politique, notamment car le gouvernement a le soutien de la Chine et de la Russie. Les lois restent donc les mêmes mais elles sont de moins en moins appliquées. L’espoir d’une vraie évolution de la société est réel. Et cela ne peut que renforcer la détermination de Nargès Mohammadi, prix Nobel de la Paix en 2023, qui a obtenu récemment une permission temporaire hors de la prison d’Evin.
Valentin Creteur, Lily Duda, Alicia Givert et Ana Maksymowicz