Le Canal Seine Nord, une chimère qui devient réalité

Dans les Hauts de France, qui n’a jamais entendu parler du fameux Canal Seine-Nord ? Parce que ça fait bien 60 ans, qu’on en parle, qu’on en débat, qu’on en discute ! Eh bien ce projet de 107 km de long est en train d’émerger. Et il arrive tout près de chez nous dans le Cambrésis puisque c’est l’année dernière, en 2021, que l’Etat a finalisé son accord et que, officiellement, tout a été lancé. 

De nombreuses questions nous viennent donc à l’esprit : en quoi consiste-t-il réellement ? Un projet aussi gigantesque est-il vraiment utile ? Est-ce vraiment écologique ?  Nous avons mené l’enquête pour en savoir plus …

Le Canal Seine-Nord, kezako ?

Ce sont des péniches bien plus importantes qui circuleront sur le Canal Seine Nord dès 2029 (photo VDN)

Ce sont des péniches bien plus importantes qui circuleront sur le Canal Seine Nord dès 2029 (photo VDN)

5 milliards d’euros … C’est le prix de ce nouveau canal gigantesque qui constituera le maillon central du transport maritime français et international. Le projet qui reliera Aubencheul-au-Bac dans le département du Nord, à 15 kms de notre lycée, au port de Compiègne dans l’Oise permettra de raccorder les canaux d’Ile de France aux ports de la Northern Range, la façade maritime de la mer du Nord, de Dunkerque à Hambourg. L’ouvrage sera assez grand pour faire passer des péniches d’au moins 185 mètres de longueur et de 4 400 tonnes, chacune transportant l’équivalent de 220 camions !

Pour l’équipe du Canal Seine-Nord, ce projet pourrait créer jusqu’à 6 000 emplois directs dans les départements concernés. Après de multiples péripéties, le projet se concrétise enfin et les premiers travaux préparatoires ont pu commencer en 2021 dans le secteur 1 (Oise) avant de s’étaler vers le Nord, jusqu’à la fin des travaux prévus en 2028. Après remplissage, les premiers bateaux devraient naviguer courant 2029. Il s’agit aussi de créer des zones portuaires à vocation industrielle et logistique. Ainsi, quatre plates-formes multimodales sont prévues à Nesle, Marquion, Péronne et Noyonnais avec l’objectif d’attirer des entreprises et donc, des emplois.

 

Un objectif économique et écologique

Mais ce canal, contrairement à ce que beaucoup pensent, ce n’est pas juste l’action de faire passer des bateaux plus rapidement de Paris vers le Nord de la France. C’est surtout revaloriser le transport fluvial de l’Ile de France vers tous les ports d’Europe du Nord. Et puis les plateformes multimodales, c’est une aide précieuse pour développer l’hinterland comme disent les géographes, c’est à dire la zone qu’un port approvisionne ou dont il tire ses ressources.

Pour une région comme les Hauts de France, où il est difficile de trouver un emploi, c’est donc un véritable coup de chance pour développer l’économie et attirer les entreprises très soucieuses d’être connectées au reste du monde.  Le canal permettra de créer un mode de transport plus respectueux de l’environnement et permettant ainsi de désengorger l’autoroute A1 complètement saturée par un afflux constant de poids lourds : en utilisant l’eau, on espère transporter d’énormes quantités à moindre coût : moins de C02 et un prix de transport diminué !

Un projet compliqué qui suscite des débats

Nicolas Siegler, le président de la communauté d’agglomération de Cambrai et vice-président du conseil départemental du Nord, fervent défenseur du dossier, a pu nous éclairer sur ce projet. Il n’a pas nié les grandes difficultés que le projet a rencontrées depuis des années en matière de financement ou d’absence réelle de volonté politique. Mais il a voulu souligner l’intérêt écologique et durable de ce canal qui va « retirer 800 000 poids lourds des routes françaises et européennes ». Une fois terminé, le canal sera géré comme le canal du Nord par les Voies Navigables de France qui auront en charge l’exploitation et la maintenance.

Pour Nicolas Siegler, ce canal est une réelle opportunité pour le développement économique de la région (photo LeHublot)

Pour Nicolas Siegler, ce canal est une réelle opportunité pour le développement économique de la région (photo LeHublot)

Mais tout le monde ne partage pas son enthousiasme. Jean-Luc Mélenchon, député France Insoumise des Bouches du Rhône, juge le « projet pharaonique » parlant de « saccage écologique à la clef ». Pour lui, ce canal va renforcer le poids du port néerlandais de Rotterdam au détriment du Havre puisque le trafic passera désormais par là. La députée européenne écologiste Karima Delli se pose aussi la question du financement : « On sait que l’État, les collectivités et l’Europe vont financer le canal mais, pour l’instant, on ne sait pas qui paie les plateformes logistiques ».

C’est vrai qu’un tel chantier soulève de vraies questions environnementales. Certains évoquent l’utilisation d’engins de chantier pour le creusage et la construction pendant huit années consécutives avec des pollutions atmosphériques indéniables. Sans compter les pollutions annexes pour produire le béton et les autres matériaux qui constitueront le canal. D’autres évoquent le devenir des quantités de terre excavées… Va-t-on mettre cette terre sur le côté du canal et défigurer le paysage ou bien va-t-on l’exporter dans d’autres pays ?

Sans oublier les questions hydrauliques. Nicolas Siegler explique que toutes les études ont été menées et que le canal sera totalement étanche (à la différence par exemple du canal du Nord), évitant de venir polluer les champs captant alentours ou de ponctionner les ressources en eau à la disposition des populations ou des agriculteurs locaux. Au moment du remplissage de « cette grosse gouttière en béton », on se servira dans l’Oise en faisant attention de ne pas assécher la rivière, pour bien « respecter les écosystèmes ».

Des précautions nécessaires

A nos yeux, ces préoccupations écologiques doivent rester centrales. Pourquoi ne pas envisager des engins de chantier moins polluants, voire électriques s’ils existent ? Ne pourrait-on pas privilégier des matériaux de construction plus éco-responsables que le béton car nous connaissons une pénurie mondiale de sable. Et puis ne pourrait-on pas compenser le coût carbone de sa construction en utilisant ses terres pour créer de vastes zones boisées, parsemées de sentiers ? Sans oublier d’installer des panneaux anti- bruit le long de toutes les zones habitées.

Pour notre territoire, le canal Seine Nord est un véritable espoir de développement avec près de 1 000 emplois directs autour du port intérieur Cambrai Marquion. Il est aussi le moyen indéniable de faire reculer le transport routier si polluant. Puissions-nous souhaiter que cela ne se fasse pas au détriment des équilibres écologiques.

 

Lorik Da Rocha et Mathis Defontaine

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