Sur la Côte d’Opale, l’exil et le Royaume-Uni

En 2024, au moins 89 migrants ont trouvé la mort sur les plages de la Côte d’Opale en tentant de traverser la Manche. Un chiffre terrible, jamais atteint auparavant, qui révèle l’ampleur du drame humain qui se joue sous nos yeux. Malgré le danger, ces hommes, femmes et enfants continuent de risquer leur vie, poussés par la détresse et l’espoir d’un avenir meilleur. Mais combien faudra-t-il encore de morts pour que le monde agisse ?

Des migrants tentent la traversée coûte que coûte sur des embarcations très précaires. Les victimes sont nombreuses (Photo La Voix du Nord autorisation).

Fuir, là-bas fuir…

        Les conditions de vie insoutenables forcent des millions de personnes à quitter leur pays. Le réchauffement climatique joue un rôle majeur : la sécheresse détruit les récoltes tandis que les inondations ravagent les habitations et les terres agricoles comme en Afrique de l’Est. La malnutrition et la faim poussent aussi de nombreuses familles à fuir et l’accès à l’eau potable reste un défi dans des régions comme le Sahel ou en Asie du Sud, gangrenée par les bidonvilles. D’autres fuient la guerre et la violence des bombardements en Syrie, en Ukraine, au Soudan ou encore en République Démocratique du Congo. Beaucoup perdent des proches, sont gravement blessés ou souffrent de traumatismes psychologiques. Fin juin 2024, on estimait à 122,6 millions le nombre de personnes déplacées de force dans le monde, contraintes de tout abandonner pour survivre.

L’Angleterre : un Eldorado ?

        « Ils se font une image de l’Europe qui est très idéalisée. Eux ils pensent qu’ils vont marcher sur l’or alors qu’ils se retrouvent à devenir des SDF » nous explique Patrick*, un ancien hébergeur solidaire. Pour les migrants, l’Angleterre, plus qu’une destination, représente l’espoir d’une vie meilleure. Le marché du travail clandestin y est plus accessible, le système d’asile plus favorable, avec davantage de possibilités d’obtenir un statut légal. L’anglais, que beaucoup parlent déjà, joue aussi un rôle clé et facilite leur intégration. Terre d’espoir donc que cette Angleterre où ils rêvent de reconstruire leur vie. Mais leur parcours est semé d’épreuves, et notamment les traversées des mers à bord d’embarcations de fortune ou de bateaux pneumatiques surchargés : en Méditerranée, plus de 2 200 migrants ont perdu la vie en 2024. Et quand ils arrivent sur la Côte d’Opale, pour rejoindre le Royaume-Uni, la traversée de la Manche est aussi périlleuse avec les courants et le froid. Certaines embarcations coulent en pleine mer, causant la noyade de nombreux passagers, y compris des enfants. Pour eux, la France n’est donc qu’une étape.

Les limites de la dissuasion

        Sur la Côte d’Opale, pour limiter les tentatives de traversée et empêcher l’installation des migrants, des mesures parfois inhumaines ont été mises en place : à Dunkerque, on a installé des rochers, à Calais, la mairie a déboisé les zones où les exilés avaient l’habitude de camper, ce qui a aussi un impact sur la biodiversité. Ailleurs des kilomètres de barbelés ont également été érigés pour restreindre le passage. « On se croirait vraiment en prison ; en fait on n’est pas enfermé mais plutôt exclu » témoigne Fabrice, un habitant de la Côte d’Opale. Pour empêcher les traversées, des centaines de policiers et de gendarmes sont mobilisés chaque jour et le dispositif de surveillance s’intensifie la nuit, avec des hélicoptères qui effectuent des rondes régulières au-dessus des plages, tandis que des navettes militaires maritimes surveillent constamment les départs potentiels depuis les canaux. « C’est des moyens énormes, c’est colossal ce qui est mis en place » affirme encore Fabrice. Ainsi, pour de nombreux exilés, cette frontière devient donc une impasse. Bloqués, sans solution, ils survivent dans des campements informels, sans accès à l’eau, à l’hygiène ou aux besoins essentiels. « Le problème c’est que, comme c’est illégal, les autorités françaises vont détruire le camp. Et elles vont leur dire :   Allez-vous-en !  Alors qu’ils ont nulle part où aller », dénonce Patrick.

Il n’est pas rare que promeneurs et migrants se côtoient sur les plages (Photo Fabrice Cazier)

Alors quelles solutions ?

        Fabrice Cazier, animateur nature sur la Côte d’opale, constate que les empêcher de traverser n’est pas vraiment une solution. « Alors oui, ça assure une partie de leur sécurité, ils vont peut-être ne pas se mettre en danger. Mais il y a peut-être d’autres manières d’assurer leur sécurité. » Outre les drames humains, la présence des exilés sur la Côte d’Opale a également un impact environnemental. Lors de ses sorties quotidiennes sur la plage avec des scolaires, Fabrice trouve des déchets, des vêtements abandonnés, vestiges de tentatives de traversée échouées qui finissent par polluer les plages. Les conditions précaires de migration rendent aussi les femmes particulièrement vulnérables aux violences sexuelles. « Pour l’instant, […] je n’ai pas identifié de bonne solution. Les empêcher de traverser oui pourquoi pas. Les laisser dans la nature sans rien leur proposer pas forcément. » poursuit Fabrice.  

Face à cette situation dramatique, des alternatives plus humaines existent. Certains habitants de la Côte d’Opale, qui côtoient cette réalité au quotidien, sont sensibles à ces drames et proposent leur aide. « Si on ne le fait pas c’est qu’on n’est pas sensible à ça et que l’on ferme les yeux sur cette problématique-là » estime encore Fabrice. Des associations comme Utopia 56 œuvrent chaque jour pour apporter un

Les dunes près d’Ambleteuse portent la trace de tentatives de passage qui ont échoué (Photo Getty image)

soutien aux exilés. Des bénévoles participent à des maraudes de distribution ou à des hébergements solidaires pour les mineurs non accompagnés comme Patrick, par exemple. Sans aide de l’État, il a hébergé des adolescents, leur offrant un abri et un minimum de stabilité. Soutenu par l’association, via la banque alimentaire, il assumait seul néanmoins les coûts liés au logement : « ce qu’on essayait de faire, c’était de les accompagner, les héberger jusqu’à ce qu’ils obtiennent leur reconnaissance de minorité ». Fabrice, de son côté, sensible à la détresse des exilés, fournit de la nourriture, des produits de première nécessité et des vêtements de seconde main à des associations. Pour ceux qui ne souhaitent pas s’engager directement, les dons restent un moyen simple et efficace pour apporter du soutien aux exilés. Et pourquoi ne pas voir l’intégration des exilés comme une force pour le pays d’accueil, contribuant à son développement économique ? On pourrait les soutenir dans leur processus d’intégration en leur proposant des formations professionnelles ou des cours de langue, afin qu’ils puissent pleinement participer à la société.

Et si au lieu d’hurler avec les loups, on écoutait la voix des humanistes…

Lou Anne Bernard, Célia Guislain, Yanis Lefebvre et Lilou Pelligrini.

*Prénom d’emprunt, personne souhaitant rester anonyme

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