La haie : si on sautait le pas ?

Dans les années 1950, avec le remembrement favorisant la motorisation de l’agriculture et le développement du productivisme agricole tenté par les hauts rendements, partout en France les haies avaient été arrachées. Quelques décennies plus tard, il semble que les certitudes d’alors méritent d’être remises en cause. Et si les haies étaient redevenues essentielles ?

Des haies récemment replantées dans notre territoire du Cambrésis (Photo Le Hublot)

Un modèle agricole aujourd’hui remis en cause

« Depuis un certain moment, on a bétonné. Et donc, nous sommes dans une Région qui est très sujette aux inondations. Pourquoi ça ? Parce qu’il n’y a plus de haies, et les haies permettaient que l’eau s’infiltre dans les sols, il faut garder cette captation. » Karima Delli députée européenne et conseillère régionale Hauts-de- France en est persuadée : les haies sont un atout contre les inondations.

Durant les années 1950, dans tout l’hexagone, les paysages de bocage ont souvent disparu au profit d’un modèle agricole productiviste qui privilégiait les rendements. Mais les effets se sont fait sentir et les inondations récentes que notre Région a connues en sont sans doute une des conséquences. On a pu constater par exemple le ruissellement des eaux en surface, l’érosion accélérée des sols ainsi qu’une perte de biodiversité. La prolifération des algues vertes en Bretagne en est aussi une conséquence indirecte puisque les sols s’érodent, il faut très souvent amender et utiliser parfois des engrais de synthèse azotée que l’on retrouve ensuite dans les nappes phréatiques.

La haie montre aujourd’hui tous ses avantages

Ces haies ont des impacts positifs sur énormément de points : elles aident les agriculteurs dans les cultures, parce qu’elles facilitent l’écoulement des eaux, limitent les inondations et évitent les glissements de terrains, réduisent donc l’érosion ce qui préserve la fertilité des sols grâce à leur système racinaire, elles maintiennent le sol, absorbent l’eau lors de crues ou fortes pluies, elles retiennent les sédiments et intrants (pesticides, engrais, fumier) présents sur les champs. Ainsi, si elles sont situées en amont des cours d’eau, elles permettent de limiter leur pollution.

Également utiles pour les animaux, les haies servent de clôtures naturelles pour le bétail, sont des sources de nourriture pour la faune sauvage (gibier, renards mais aussi oiseaux et insectes) et des zones de refuge et de nidification pour les oiseaux. Elles contribuent aussi à « la production de bois pour les agriculteurs ou propriétaires des terres sur lesquelles elles sont implantées, » comme nous le précise Lou Anne Noyelle, étudiante en 2eme année de gestion et de valorisation naturaliste, qui dans le cadre de ses études a proposé à sa commune à Haussy de réaménager une décharge, ce qui l’a amenée à planter des haies. Les haies exercent également une fonction de barrière physique contre les produits phytosanitaires et favorisent l’infiltration des pluies. Elles sont enfin bénéfiques à la biodiversité puisqu’elles sont favorables à la sauvegarde de plusieurs espèces et familles d’espèces comme les batraciens ou amphibiens.

Un mouvement de replantation encouragé à toutes les échelles

La Haie est un outil crucial pour limiter le ruissellement (photo E. Tosolini)

Le 12 décembre dernier, la société civile d’exploitation agricole des Campanules, située à Clary près de Cambrai, bénéficiait de 960 plants de haies fournis par un pépiniériste local. Ces plants ont été repiqués tous les mètres le long du champ situé en plaine.

Une collectivité locale le SYMSEE (Syndicat Mixte du Sud-Est de l’Escaut), de son côté, fait de « l’animation agricole » autour des haies : elle rencontre les agriculteurs pour les encourager à planter des haies sur leurs territoires et leur fournit des diagnostics. Elle s’intéresse surtout aux axes de ruissellement avant d’envisager la plantation de haies intra parcellaires. Ces animations agricoles sont financées par l’Agence de l’Eau Artois-Picardie, comme nous le précise Enzo Pagana, chargé de mission érosion chez SYMSEE.

Le Département du Nord achète et met à disposition auprès des agriculteurs, de manière gratuite, une machine à planter et fournit des plants et des graines d’essences uniquement locales, nordistes. Une enveloppe annuelle de 50 000€ est prévue et chaque exploitant peut être aidé à hauteur de 1500€ chaque année. Les exploitants peuvent ainsi être aidés par le

Département durant 10 ans grâce à un contrat qui les lie. Avec l’aide d’agriculteurs volontaires, 38 km de haies ont déjà ainsi été plantés autour de 1 350 hectares de cultures. Ce sont autant de refuges pour la biodiversité.

Mais une solution encore trop peu utilisée

L’action de les replanter se développe mais ces nouveaux plants de haies nécessitent un espace de 3 mètres de large et ce sont autant de terres qui ne produisent pas de récoltes, ce qui cause une perte de rendements pour les agriculteurs. Pour que ces plants de haies arrivent à bien se développer dans leur nouvel environnement, il faut qu’elles soient constituées « d’espèces locales (c’est-à-dire qu’elles proviennent de la zone géographique dans laquelle elles sont plantées) et sauvages, donc non horticoles » nous précise Lou Anne Noyelle. Selon elle, les espèces à privilégier dans le Nord sont l’aubépine, le troène, le prunellier, le sorbier, la viorne lantane ou obier, le charme, le sureau et le noisetier. Mais les conditions pour qu’une haie favorise la biodiversité, c’est qu’elle doit être pluri-spécifique et pluri-stratifiée, c’est-à-dire composée de plusieurs espèces et de plusieurs étages.

Les haies sont pour Karima Delli un outil nécessaire pour lutter contre les effets dévastateurs des inondations (Photo Le Hublot)

Et aujourd’hui, les enveloppes financières prévues par le Département par exemple sont loin de compenser ces pertes de rendements.

« Les politiques de nos jours sont en accord avec cette politique de « replantage », c’est pour ça qu’il y a des aides mais le problème est aussi l’entretien de ces haies. Les agriculteurs qui replantent des haies sont obligés de passer à un autre type d’agriculture plus respectueuse de l’environnement et moins rémunératrice. Ils ont besoin d’être davantage aidés pour compenser leurs pertes. On le voit bien avec leurs manifestations dans la rue.  » nous précise Karima Delli.
En plus de cela, les agriculteurs doivent avoir énormément d’autorisations pour planter ces haies, ce qui les décourage.

Ces haies sont pourtant bénéfiques, elles sont essentielles tant pour la biodiversité que pour l’agriculture. Elles doivent donc être protégées au maximum là où elles existent et leur replantation développée et encouragée. C’est un enjeu aux multiples facettes et il y a urgence à repenser le cycle de l’eau sur nos territoires.

Eline Tosolini, Marion Delwal

Sources :

  • Duriez Noémie, « Qui sème les haies prévient les inondations », La Voix du Nord édition Cambrai,12 décembre 2023,
  • Site gouvernemental de l’Office français de la Biodiversité

https://www.ofb.gouv.fr/haies-et-bocages-des-reservoirs-de-biodiversite

  • Site officiel du journal du Département du Nord

https://info.lenord.fr/des-haies-plantees-dans-l-avesnois-et-le-cambresis-pour-plus-de-biodiversite

  • Interview de Karima Delli , députée européenne et conseillère régionale Hauts-de-France
  • Interview de Lou Anne Noyelle, étudiante en 2ème de gestion et valorisation naturalist
  • Interview d’Enzo Pagana, chargé de mission érosion chez SYMSEE

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