Les sécheresses en France de cet été 2022 ont relancé le débat sur l’utilisation et l’utilité des méga-bassines pour les agriculteurs. Plusieurs mobilisations très médiatisées contre ces méga-bassines, notamment celle de Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, ont eu lieu à l’automne dernier. Face au changement climatique, les méga-bassines, sont-elles une solution miraculeuse pour nos agriculteurs ou la privatisation d’un bien commun vital ? Qu’en est-il vraiment ?
Vous avez dit méga-bassine ?
La méga-bassine, c’est un réservoir géant artificiel, plastifié, de plus de 15 mètres de profondeur et qui s’étend sur une surface de sept à dix terrains de football. Cette superficie peut contenir environ 240 000 m3 d’eau soit l’équivalent de 300 piscines olympiques. Enorme réservoir, elle est conçue pour se remplir grâce à l’eau puisée dans les nappes phréatiques et à l’eau de pluie. Ces méga-bassines ont été mises en place dans certaines régions durant les sécheresses de 2021 et 2022 pour aider les agriculteurs à continuer leurs activités et pour pallier le manque d’eau.
Mais alors…où est le problème ?
Tout d’abord, les méga-bassines ont un impact sur le milieu naturel et la biodiversité. En stockant une eau qui se serait normalement infiltrée dans les sols ou aurait ruisselé dans les cours d’eau, elles privent les écosystèmes environnants d’une ressource vitale, qui permet notamment aux zones humides et aux sols de se reconstituer pendant la période hivernale.
Elles transforment également une ressource courante et vivante en eau stagnante, qui s’évapore et se dégrade. Les pertes liées à l’évaporation dans ce type d’ouvrages se situeraient entre 20% et 60%, selon Christian Amblard*, spécialiste de l’eau et des systèmes hydro biologiques. La multiplication de ces méga-bassines est problématique puisqu’elles utilisent, directement ou indirectement l’eau des nappes, ressource limitée.
Autre problème majeur : le modèle de production agricole que l’on refuse de changer.
En effet, les méga-bassines servent à alimenter des productions très voraces en eau, tel le maïs qui est majoritairement destiné à l’élevage industriel. Ce modèle agricole de grandes cultures intensives doit changer car il semble devenu inadapté face au changement climatique.
Un sujet devenu polémique
Ces réservoirs d’eau géants sont ainsi au cœur des polémiques. Dans un contexte de multiplication d’années de sécheresse sur notre territoire français, la méga-bassine apparait comme une forme de confiscation par certains d’une ressource en eau devenue de plus en plus rare. Dans de nombreuses régions, des collectifs de citoyens comme Bassines Non merci (BNM) se sont formés ; ils regroupent des associations, des particuliers, des syndicats ou encore des partis politiques qui se mobilisent contre ces réservoirs. Peut-être parce qu’ils ont conscience que le vrai problème, c’est le réchauffement climatique et qu’en essayant de contourner ses effets, on ne va pas vers des solutions durables.
En revanche, certaines personnes ou certains groupes y sont favorables : le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), organisme d’Etat qui estime que « pomper dans les nappes phréatiques durant l’hiver ne change pas grand-chose ». A condition néanmoins que les moyennes de précipitations des dernières décennies subsistent ; or ce n’est plus vraiment le cas depuis quelques années…Pour certains agriculteurs, les méga-bassines, sont la garantie d’obtenir un revenu puisqu’en périodes de sècheresse l’eau coûte très cher.
« C’est une protection pour l’avenir » déclare dans les médias au moment de la mobilisation de Sainte Soline, Gaël Goulevant agriculteur irrigant à Saujon en Charente Maritime ; « irriguer nous permet de fournir des produits alimentaires à toute la population ».
Nous avons, de notre côté, interviewé Xavier Gosselet, agriculteur dans les Hauts-de-France qui produit majoritairement du blé, des betteraves, du lin et des endives. « Je trouve que ces bassines sont dangereuses pour l’écosystème environnant car l’eau ne redescend pas dans les nappes phréatiques même si certaines régions sont poussées à utiliser ce système ».
Il comprend que pour les agriculteurs, c’est avantageux puisque « cela permet l’irrigation pour ceux qui n’ont pas un accès idéal à l’eau ».
Mais il ajoute : « écologiquement, c’est moins positif car la bassine fait évaporer l’eau qui est donc gâchée sans parler de la place que prend la bassine ». Agriculteur dans notre région, il ne s’imagine pas y avoir recours : « Ces installations sont de vrais désastres écologiques et le coût pour s’en approprier une est très élevé ».
La vraie solution, elle est ailleurs
Magdalena Vanrentenghem, ingénieure territoriale au syndicat mixte du Pays du Cambrésis, qui regroupe 116 communes, nous a donné son avis sur la question. Selon elle, pour lutter contre le manque d’eau pour les cultures, « il faut favoriser l’infiltration de l’eau de pluie dans les sols, donc les nappes », c’est la priorité. Et cela dans tous les milieux : à la campagne mais aussi en ville en revégétalisant tout ce qui peut l’être.
Elle explique qu’avec des paillages, on peut rendre les sols des champs plus perméables et éviter qu’ils ne se dessèchent. Elle évoque aussi la volonté de l’ADEME (l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie), de développer « l’agroforesterie qui consiste à planter des arbres dans les champs pour faire remonter l’eau des sols et les rendre plus humides grâce à leur ombre ».
De leur côté, les agences de l’eau en France accompagnent les agriculteurs afin qu’ils diminuent leur forte consommation d’eau due à des aménagements qui en demandent parfois beaucoup.
Cela passe aussi par des évolutions de cultures : limiter certaines cultures qui consomment beaucoup d’eau, et favoriser celles du sorgho et du lin qui en demandent beaucoup moins.
Changer les pratiques, changer les cultures ; les retenues collinaires pourraient être aussi une solution envisageable. Il s’agit là de créer des mini barrages pour retenir, dans des bassins naturels, l’eau qui vient par ruissellement ou de la fonte des neiges au printemps.
Pourquoi enfin ne pas généraliser aussi l’irrigation par goutte à goutte ? Des lignes de tuyaux disposées sur un champ viennent petit à petit alimenter les cultures en eau. Cela correspond à une réduction de 30% à 60% de consommation d’eau par installation.
Les méga-bassines ne peuvent être une solution au manque d’eau : il est indispensable de faire évoluer nos pratiques agricoles pour répondre au changement climatique. Et ce sera une solution bien plus durable et moins néfaste pour tout le monde.
Lucas Bassi, Eliott Lecront, Noé Moitel et Even Forest.
*Christian Amblard est directeur honoraire de recherche au CNRS, spécialiste des écosystèmes aquatiques
Sources :
- Vaneeckhoutte, François. « Méga-bassines dans les Deux-Sèvres : une expertise pointe les failles du rapport mis en avant par les partisans du projet » . Libération, 13 février 2023, liberation.fr/checknews/mega-bassines-dans-les-deux-sevres-une-expertise-pointe-les-failles-du-rapport-mis-en-avant-par-les-partisans-du-projet-20230213_5YYDAMQJK5BU5GLTQZ7XIJ5654.
- Pote, Bon. « Les méga-bassines sont-elles des solutions viables face aux sécheresses ? » Bon Pote, 5 février 2023, bonpote.com/les-mega-bassines-sont-elles-des-solutions-viables-face-aux-secheresses.
- Amblard, Entretien Avec Christian. « “Les retenues d’eau aggravent la sécheresse, et la vulnérabilité de l’agriculture” ». Reporterre, le média de l’écologie, 30 novembre 2022, reporterre.net/Les-retenues-d-eau-aggravent-la-secheresse-et-la-vulnerabilite-de-l-agriculture.
- « Pourquoi s’opposer aux méga-bassines ?» Greenpeace France, 3 novembre 2022,www.greenpeace.fr/mega-bassines-pourquoi-opposer.
- Quénard, Nicolas. « C’est quoi le débat avec les méga-bassines en France ? | NOWU » . NOWU, www.nowuproject.eu/fr/contents/c-est-quoi-le-debat-avec-les-mega-bassines-en-france.