Le 20 Avril 2020, des pécheurs belges signalent un nombre conséquent de poissons morts flottant à la surface de l’Escaut. Nous sommes en Wallonie sur la partie belge du fleuve et, très rapidement, le lien est établi avec cet incident survenu dix jours plus tôt à Escaudœuvres près de Cambrai : une digue d’un bassin de rétention de déchets de la sucrerie s’est rompue et a provoqué le déversement d’environ 100 000 m3 d’eau chargée de résidus du nettoyage des betteraves. Cela a pollué l’Escaut et provoqué l’asphyxie de plusieurs tonnes de poissons.
Mais cette pollution n’est pas isolée…
Dans la région Hauts de France, on estime que seulement 22% des eaux de surface (cours d’eau, étangs, lacs, canaux, marécages) sont de bonne qualité. Sur 80 cours d’eau, seulement 18 sont considérés comme étant « en bon état » et, comme le souligne un sondage de la Voix du Nord en 2020, la population est bien consciente que cette qualité s’est plutôt dégradée depuis 10 ans. A quelques kilomètres de chez nous, Aurélien Zeljko, animateur de centre de loisirs et kayakiste amateur sur le canal de l’Escaut à Proville, convient qu’il n’est pas rare de voir des poissons morts flotter sur le canal, témoins d’une pollution parfois invisible.
Des sources de pollution multiples liées à l’homme
Dorothée Bolzan, spécialiste de l’Agence de l’Eau du bassin Artois Picardie basée à Douai, nous explique que la dégradation de la qualité des eaux a des causes multiples comme des rejets de stations d’épuration ou des résidus liés aux activités industrielles ou agricoles. Dans notre région où les grandes cultures de céréales ou de betteraves sont très pratiquées, les agriculteurs utilisent encore massivement des pesticides et des engrais, que l’on retrouve ensuite, par ruissellement, dans les nappes phréatiques ou les cours d’eau. Les précipitations, régulières dans notre région, accentuent par ailleurs ce phénomène. Ces polluants se retrouvent ainsi rapidement dans les cours d’eau et y restent souvent pendant un certain temps, ce qui peut conduire à un phénomène d’eutrophisation.
En effet, ces polluants sont souvent composés de nutriments, comme l’azote et le phosphore très utilisés dans les engrais agricoles. Les micro-organismes, présents dans l’eau et se nourrissant de ces éléments nutritifs, se reproduisent alors à très grande vitesse lorsque le taux de nutriments augmente. Comme tous les organismes vivants, les cyanobactéries, (micro-organismes le plus souvent rencontrés dans le phénomène d’eutrophisation) respirent et consomment du dioxygène. Plus leur nombre augmente, plus la quantité de dioxygène qu’ils absorbent est importante, privant ainsi les autres espèces aquatiques de ce gaz vital et compromettant leur survie. C’est ce phénomène qui s’est produit lors du rejet des déchets de la sucrerie dans l’Escaut.
Juste à côté, le bassin Artois Picardie est un bassin hydrographique dont les cours d’eau à faible débit ont subi et subissent encore aujourd’hui beaucoup de pressions de pollution. Tout d’abord, d’origine industrielle : en effet, les activités minières et celles liées au textile et à la sidérurgie du Nord-Pas-de-Calais ont, pendant des décennies, contribué à une pollution sans réglementation. Encore aujourd’hui, l’industrie reste importante dans la région et les eaux des nappes et des rivières sont très sollicitées à différentes étapes des transformations (fabrication, conception des produits, refroidissement etc.). Et la densité de population très élevée ajoute encore des sources de rejets polluants.
Ensuite, le passé de notre territoire est aussi responsable de la contamination de certaines eaux : ainsi, les traces de la 1ère guerre mondiale sont encore bien présentes, en particulier sur l’ancienne ligne de front des Flandres à l’Artois. Plus de 100 ans après, on retrouve encore dans les sols de nombreux résidus d’armement ou de munitions ; celles-cicontiennent des composants ou agents toxiques et polluants pour l’environnement et donc pour l’eau, qui se traduisent par la présence, dans l’eau du robinet, de sels de perchlorates, particulièrement nocifs pour la croissance des jeunes enfants. Nos nappes ont également de plus en plus de mal à se recharger. L’artificialisation des sols rend plus compliqué l’absorption des eaux par les sols et la pluie non absorbée va envahir et surcharger lors de précipitations brutales, les réseaux d’assainissement ; les épisodes d’inondations ne sont pas rares et dans ces cas-là, les systèmes d’épuration sont saturés et les eaux sales se répandent partout.
Agir reste possible et nécessaire
L’Agence de l’eau Artois Picardie a présenté cette année son nouveau SDAGE (Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux) et tente de relever le défi : l’objectif est d’atteindre, d’ici 2027, 50% d’eaux de bonne qualité dans le bassin hydrographique, au lieu des 22% actuels.
Parmi les axes de travail, c’est d’abord autour de l’assainissement qu’il s’agit d’intervenir en rénovant les réseaux, en agrandissant la capacité des stations d’épuration, en développant partout où c’est possible le séparatif (c’est à dire la séparation entre les eaux usées et les eaux pluviales), le tout pour éviter lors des épisodes de fortes précipitations des débordements et le mélange des eaux sales avec les pluies.
C’est aussi lutter contre les rejets polluants de l’industrie qui restent importants en finançant le développement de nouvelles technologies, ou dans l’agriculture, agir pour faire évoluer les pratiques : soutenir le développement du bio, diminuer l’usage des produits phytosanitaires, favoriser la mise en place de prairies, de haies ou de fascines pour encourager l’infiltration, et non plus favoriser le ruissellement.
Dans ce schéma directeur, on évoque aussi la nécessité de sauvegarder les zones humides qui jouent le rôle d’éponge et de filtration : favoriser l’infiltration dans les nappes plutôt que le ruissellement qui se charge de polluants semble la clef. Et ce sont plusieurs milliards d’euros qui y seront consacrés dans les 5 ans à venir.
Et si nous, citoyens, nous voulons agir directement, alors changeons au quotidien nos habitudes ; soyons attentifs à ce que nous utilisons dans nos jardins et ce que nous rejetons dans nos eaux usées. Par exemple, fabriquer sa lessive soi- même sans utiliser de phosphates, c’est tout bête mais c’est aussi un petit geste important qui participe un peu à l’amélioration de la qualité de nos eaux.
Léa De Pauw, Maelle Colau, Florine Foulon