Apparues à la fin des années 2010, les trottinettes électriques connaissent un succès croissant et leurs ventes ont augmenté de 527% entre 2017 et 2020.
Avec ce succès, tant pour les trottinettes louées que les trottinettes personnelles, de tristes records ont été battus : les services de nettoyage du Vieux-Port de Marseille ont ainsi découvert, en 2019, plus de 300 trottinettes au fond de l’eau en une seule journée. Censées être une solution environnementale face aux pollutions et aux embouteillages liés aux transports en ville, la trottinette électrique ne serait-elle qu’un gadget de plus générant une véritable pollution ? Qu’en est-il vraiment ?
Un nouveau mode de transport séduisant
Les trottinettes électriques ont certes de nombreux avantages ; elles sont d’abord économiques n’ayant besoin que de quelques centimes d’électricité pour se recharger complétement pour une autonomie de 10 à 40 kms, selon le modèle. Elles sont aussi accessibles à tous, très maniables permettant de parcourir de petites distances rapidement, allant plus vite, en ville, qu’un véhicule thermique, puisqu’elles se faufilent dans la circulation.
Pour circuler avec elles, pas besoin de permis. Les trottinettes électriques permettent de lutter contre les embouteillages, sont parfois pliables, et présentent un encombrement minimal… Jérémie, un utilisateur de trottinette électrique de 36 ans habitant Naves près de Cambrai, a répondu à nos questions : « Je trouve que c’est une bonne alternative aux transports en commun dans les grandes villes comme Paris, Lyon, Marseille, ou autres. »
Une trottinette électrique utilisée pour un usage personnel émet seulement 61 grammes de CO2 par kilomètre, ce qui est donc moins polluant qu’une voiture (110 à 180g /km) ou qu’un bus (104 g/km). De plus, les utilisateurs n’ont pas toujours besoin d’acheter des trottinettes électriques puisqu’elles sont disponibles en libre-service dans des grandes villes comme Paris, Lyon, Bordeaux, Marseille ; on peut aussi les louer à des commerçants et même en acheter d’occasion pour réduire les coûts. Bref, la trottinette semble être un moyen de transport d’avenir…
Pour autant tout n’est pas si vert
Et oui, les inconvénients sont bien réels. Les trottinettes électriques ne sont pas si vertes. Leur conception est loin d’être écologique car les diverses pièces composant les trottinettes sont fabriquées dans différentes usines parfois très éloignées les unes des autres : le cadre est constitué d’un alliage d’acier, de fer et de carbone fabriqué en Chine, de même que les batteries au lithium qui peuvent également provenir du Canada. Tous ces échanges intercontinentaux se font dans d’énormes porte-conteneurs dont on connait les rejets polluants nocifs : en 2018, le journal Le Monde n’affirmait -il pas que les rejets d’un seul porte-conteneurs équivalaient à ceux d’un million de voitures ? Même si ces chiffres ont fait polémique, tous ces échanges nécessaires pour construire notre trottinette aggravent son coût carbone. D’autant que massivement assemblées en Asie du Sud-est et vendues chez nous en Europe, elles sont aussi livrées ensuite par camions.
Revenons également aux fameuses batteries au lithium. Cette matière première est surtout présente en Australie, au Chili, en Chine, et là encore il faut aller la chercher, la transporter jusqu’aux lieux de fabrication des batteries. Et celle-ci génère du CO2 : pour chaque kilowattheure de stockage ajouté à la batterie c’est entre 150 et 200 kilos de CO2 émis.
Par exemple, la « ninebot kickscooter », une trottinette à la mode, a une batterie de 187 kWh (ce qui lui donne une autonomie de 25km environ) soit 18,7 g de CO2 par production de batterie, batterie non recyclable pour l’instant ! Sans parler des techniques d’extraction du lithium qui sont très contestables puisqu’elles utilisent massivement de l’eau (elles sont à l’origine de lourds prélèvements dans les nappes phréatiques menacées) et contribuent, comme au Chili, à assécher les territoires.
Tout cela nous donne un bilan carbone peu reluisant ; à Paris, les trottinettes en location partagée auraient généré des émissions de gaz à effet de serre supplémentaires : environ 13 000 tonnes en un an, soit l’équivalent des émissions annuelles d’une ville française de 16 000 habitants en 2020.
La trottinette en accès libre, un fléau ?
Les trottinettes électriques en accès libre partent d’une très bonne idée : c’est commode, on en trouve partout à portée de main et on peut les laisser où on veut. Mais d’autres problèmes se posent. Savez-vous, par exemple, qu’on doit les changer tous les 3 à 6 mois, ce qui représente donc entre 2 et 4 remplacements dans l’année, en imaginant qu’elles ne soient ni vandalisées ni laissées au milieu de nulle part ? En effet, ces trottinettes, et particulièrement celles en libre-service, sont souvent jetées dans la nature par des utilisateurs lorsque la batterie est vide : les services de nettoyage des villes partent régulièrement à la pêche, comme dans le Vieux Port à Marseille ou dans la Seine à Paris.
Des évolutions très positives
Ce constat doit être nuancé : aujourd’hui des évolutions s’amorcent et de plus en plus de trottinettes électriques sont recyclables. Depuis janvier 2020, La Fédération des professionnels de la micro mobilité (FP2M), les vendeurs et loueurs de trottinettes ont décidé, de lancer un guichet de recyclage unique des trottinettes électriques. Les effets sont lents à se faire sentir mais cela va indéniablement dans le bon sens. Instaurer des puces de traçage dans les trottinettes afin d’éviter qu’elles ne soient jetées dans la nature est aussi une piste à creuser, sans oublier, pour les constructeurs, de réfléchir à une production relocalisée en Europe.
Accusées d’être très dangereuses puisqu’en 2021 (11 personnes sont mortes dans des accidents mettant en cause des trottinettes) leur usage est de plus en plus réglementé. Le 20 juin 2020 un arrêté est venu préciser les règles concernant « ces engins de déplacement motorisé personnel » : limitation de la vitesse et des zones empruntables, interdiction de stationnement sur les trottoirs à Paris et obligation du port d’éléments réfléchissants ou de protection. Pourtant, rares sont aujourd’hui les utilisateurs qui portent un casque. Il est sans doute nécessaire d’éduquer et de diffuser à l’échelle globale des messages de bonnes pratiques, ce que confirme Jérémie, notre utilisateur : « il faut plutôt développer une certaine pédagogie vis-à-vis des usagers ».
Enfin, au regard de son bilan carbone, ne serait-il pas judicieux d’encourager davantage l’usage du vélo comme solution de déplacement durable. La ville de Lille par exemple a renoncé dès 2018 au système des trottinettes partagées dans l’espace public, évitant ainsi d’en retrouver dans la Deûle, pour privilégier les « V’Lille » qui eux ne contiennent pas de batterie au lithium…
Alexandre Domont, Augustin Guinet, Sullivan Picquet, Nathan Racine.