Vous avez un projet de construction en bois actuellement ? Alors vous avez dû remarquer la hausse des prix faramineuse, du jamais vu ! C’est la conséquence à une pénurie mondiale de bois et, alors que notre territoire n’a jamais été aussi boisé, notre pays est aussi touché…Enquêtons du côté de nos forêts locales pour mieux comprendre.
La rentabilité d’abord ?
A l’origine de cette période compliquée de pénurie mondiale, il y a la Chine qui poursuit sa très forte croissance économique et qui a décidé de mettre un terme à l’abattage commercial de ses forêts naturelles, à cause de ses problèmes environnementaux majeurs, notamment de désertification au nord par exemple. De ce fait, les entreprises chinoises se retrouvent contraintes de s’approvisionner à l’étranger, quitte à surpayer le bois importé. La crise sanitaire est venue s’ajouter à cela : les Français, pris alors d’une vraie frénésie de bricolage, ont également augmenté leur consommation de bois (construction, aménagement intérieur, bardage) et la pénurie s’est renforcée.
Dans le monde du bois, la question de la rentabilité est devenue primordiale. On parle même d’industrialisation de la forêt puisqu’il s’agit de fournir du bois le plus vite possible pour répondre à la demande. Depuis plusieurs années, la France a donc choisi de replanter des forêts souvent avec des résineux car ils poussent plus vite et peuvent être ainsi rentabilisés plus rapidement. Pour répondre à la demande exponentielle, les gestionnaires des forêts qu’ils soient privés (comme le sont les 3/4 d’entre eux) ou publics pratiquent de plus en plus la coupe-rase et l’enrésinement, le remplacement total ou partiel d’un peuplement d’arbres feuillus par des résineux à la croissance plus rapide.
Des pratiques dangereuses à long terme
Hugo Clément, journaliste et militant écologiste français, raconte dans son Journal de Guerre Ecologique comment Lucienne Haese, 80 ans, se bat dans la forêt du Morvan en Bourgogne-France-Comté, pour sauver les feuillus peu à peu abattus. A la place, une monoculture de pins Douglas est un triste exemple d’enrésinement. Ainsi l’âge d’exploitation des arbres est sans cesse abaissé et 79 % des arbres de nos forêts françaises ont moins de cent ans. Plus de la moitié des forêts du Morvan ont été remplacées ces dernières années par des plantations de pins Douglas ou d’épicéas. Et cela s’accompagne de coupes rases de plus en plus critiquées. Imaginez quelques bulldozers qui s’attaquent de front à une parcelle et ne laissent rien subsister d’une forêt de feuillus. Après leur passage, plus rien, plus de chants d’oiseaux, plus de petites pousses, plus de jeunes arbres pour remplacer les plus vieux ; bref, un mode d’aménagement sylvicole qui passe par l’abattage de la totalité des arbres d’une parcelle d’une exploitation forestière. Si en Suède, dans un contexte de lutte contre les gaz à effet de serre, cette pratique est très répandue et même défendue comme permettant ensuite d’absorber davantage de C0² lors de la repousse, du côté du Morvan, ça passe mal. Là, comme dans le Nord, c’est à la biodiversité et au devenir de nos forêts qu’on pense d’abord.
Une gestion raisonnée est possible
Nos forêts ne sont pas assez variées en termes d’essences d’arbres, et cela perturbe l’écosystème mettant en danger les animaux comme l’homme. Si trop souvent dans la gestion forestière, la rentabilité est mise en avant, la protection de la biodiversité ne peut pas être oubliée. La bonne gestion de la forêt, c’est sans doute de trouver un compromis entre ces deux impératifs.
Dans la forêt de Mormal, entre Cambrésis et Avesnois au sud du département du Nord, Benoit Lengrand de l’ONF (l’Office Nationale des Forêts) nous a reçues dans sa maison forestière de Locquignol. Il nous a rassurées sur la gestion de cette forêt, la plus proche de notre lycée. Ici seulement 1% d’enrésinement mais des coupes rases qu’il justifie : » Les arbres sont des êtres vivants qui, au bout d’un moment, arrivent à maturité ; on les récolte donc pour utiliser le bois, un matériau fixateur du carbone ». La forêt est ainsi divisée en différentes parcelles, de catégories d’âges différents : il y a à la fois récolte et régénération, on ne perd pas vraiment d’arbres.
Face à l’indignation contre les coupes-rases M. Legrand se défend : »Les gens pensent, en voyant des parcelles d’arbres de moins d’un mètre, qu’on fait de la déforestation, mais ce n’est pas le cas. La forêt a des stades différents et il faut du temps pour que l’arbre repousse ». La forêt de Mormal est une forêt de production bien sûr mais cela n’empêche pas la protection de l’environnement et l’accueil du public, les trois objectifs que l’ONF veut continuer à mener de front.
La forêt, une vraie respiration
Plus près de chez nous encore, dans le petit village de Fontaine au Pire dans le Cambrésis, le choix a été fait de faire naître une forêt. Ici, dans ce village de 1200 habitants, entouré de champs cultivés, on a décidé depuis 2014 de planter des milliers d’arbres. Pas pour produire du bois, mais plutôt pour reboiser le paysage, créer une vraie zone de préservation de la biodiversité et surtout pour bâtir un projet qui fait renaître le lien social dans le village. Annette Chrétien et Michel François, tous deux adjoints au maire, nous ont expliqué comment ces quatre hectares de bois ont fédéré les habitants. On a planté ensemble et maintenant on vient s’y promener en famille, pique-niquer, jouer autour des mares et des ruches qui y ont été installées. Le lieu est respecté de tous et pendant la crise sanitaire ce fut, pour la commune, un vrai poumon vert où l’on pouvait venir compenser un peu les effets du confinement.
Car cette pénurie mondiale de bois ne doit pas nous faire oublier l’essentiel. C’est bien d’une gestion raisonnée de nos bois et forêts dont nous avons besoin parce qu’ils nous sont précieux : capteurs de CO², réservoirs de biodiversité, sources de matériaux durables et non polluants, lieu de respiration pour nos populations de plus en plus urbaines. Non, décidément, nos forêts ne sont pas qu’une tirelire.
Justine Degand et Léa De Freitas